chapitre un

«  En fin de compte, tout s’arrange, sauf la difficulté d’être, qui ne s’arrange pas. »
Cocteau.

« Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. »
Baudelaire.

« I saw the best minds of my generation destroyed by madness, starving hysterical naked,
dragging themselves through the negro streets at dawn looking for an angry fix,
angelheaded hipsters burning for the ancient heavenly connection to the starry dynamo in the machinery of night… »
Ginsberg.



Ta beauté me paraissait intacte
Je n’osais pas la toucher alors je l’ai invoquée.

Il faut écrire vite c’est urgent quelquechose d’immatériel va procéder, proche du sacré, d’un sacré mis à mal, tordu, avoir lieu dans nos villes au cœur de nos vies, quelquechose de glacial, d’immémorial et d’hautement addictif.

Hier, dans la rue, je passe le pas de coté, vite fait, discret.

Je crois que c’est le moment de sortir dans les rues et de vociférer comme un sanglier, comme une bête fauve, d’hurler la lame de sa douleur, les larmes de sa traînée sur le bitume et de voir des passants passer avec humanité.

Nous sommes en train de voir posément s’éteindre une civilisation de deux mille ans car ne nous trompons pas, nous n’étions pas là au commencement, mais avec un peu de chance, nous assisterons à l’implosion de la planète. Un feu d’artifice dont vous ne serez pas les artificiers. Vous en serez privés.

Il faut écrire dans l’urgence, il faut créer dans l’urgence, la patience n’a rien à voir avec nous, nous qui sommes trop écorchés, irascibles, en marge des institutions et fasciné par la chute du destin, par l’écriture du désastre.

« Tu es là, tu n’es plus là, je me déchire » lance un type à une jolie fille dans une station de métro et c’était totalement théâtral.

Quand je repense à mes 14 ans et à mon adolescence, j’ai chagrin et nostalgie.

Ma pensée était moins acérée, moins contendante, peut être moins retors aussi.

J’aimerais tomber à terre, me gratter salement sur le sol et finir ma vie dans une cahute au milieu d’une forêt (vierge)

Tout ce qui est urbain m’attire, me séduit, m’excite alors que la province me berce d’un doux et langoureux ennui.

Il faut retoucher la vie en numérique, laisser sa trace sur le réseau encodé en 0 et en 1, voilà notre salut.

Le passage de l’analogique à l’ère digitale a bouleversé nos existences à jamais. Le clone est à portée de main.

Tout écrivain écrit sur l’impossibilité d’écrire. C’était le cas d’Artaud. On ne sait pas ce qui vient et va entre la pensée et le papier.

Aujourd’hui je n’ai aucune inspiration. Je respire. Dehors il pleut. Je n’ai plus faim. Maman est sortie. Mon frère est à Milan. Paroles… Ravissement de la parole.

Méfiez-vous de mes mains, elles mordent. Mes maux mes mots scalpent la réalité.

Où vont les anges quand il fait nuit ? Où est le jour quand tu gémis ? J’ai peur de te perdre. J’aimerais te mémoriser sur un disque dur pour avoir toujours une image de toi dans mes valves cardiaques.

Autour…tout autour.

Près…tout près.

Logique d’amphétamine. Nuits bi chromiques, je veux dire en noir et blanc. Nuits diurnes, agiles et éveillées. Nuits allongées dans les alcôves du passé mais parfois nuits d’espérance.

Je veille sur mon corps le plus proche. Et pourtant combien en ai-je laissé sur des chemins ardus.

Insomnies. Mais ce soir je battrai la nuit.

J’ai passé la matinée à faire des autoportraits avec un vieil appareil numérique. Je paramétrais le minuteur mais le problème c’est que je n’arrive pas à sourire naturellement. Sur les cinquante clichés, j’ai l’air grave et tourmenté. C’est sans doute le fond de ma nature. Mis à part le narcissisme, faire des autoportraits de façon obsessionnelle en modulant correctement la lumière et l’exposition, tout cela peut être très enrichissant. Enfin je ne suis pas encore Andy Warhol. La photo ou l’art du Hasard.

Tellement difficile de ne pas tricher avec la vie, tous les chemins mènent à la lâcheté & à la fuite. C’est trop dur de conduire droit.

Il n’y a rien à faire, la joie et l’Idéal est indissociable du spleen. J’éviterais presque de me permettre d’être en joie pour ne pas redescendre. Dans ces moments là, on se répète la litanie du « combien de temps ça va durer, pourvu que ça dure » avec l’anxiété de la descente.

« Toute joie veut l’éternité » Nietzsche.

Tout est blanc. Je ne sais pas ce que je vais écrire.

Lucidité, lâche-moi ! Va voir ailleurs !

Statut de poète : En Grèce antique il y avait le poète, le guerrier et le prêtre tout en haut de la société. De nos jours les poètes sont des marginaux, certains travaillent, certains ne travaillent pas, certains sont enragés violents certains sont doux mais tous les vrais poètes décryptent les âmes et la société. Tous les poètes ont une cicatrice cachée parce qu’interne.

Je n’écris pas assez.

Mon PC portable a ressuscité j’écris donc à nouveau avec cette antiquité qui ne me sert que de traitement de texte.

Je suis totalement excessif et j’ai trop aimé les drogues pour en prendre à présent. J’ai toujours aimé ce qui modifie les états de conscience.

Je fais systématiquement perdurer les nuits.

Le jour je divague. Je suis pris. Je me capture à l’infinitif.

Je publie mon premier livre cette année. C’était totalement indispensable, les refus m’apparaissaient comme injustifiés et injustes. Cependant le monde de l’édition est chargé à bloc de copinage, c’est démentiel. Moi-même je suis édité grâce à Luc Dellisse.

J’imagine tous les Rimbaud qui sommeillent dans les faubourgs sans lecteurs.

Une découverte, une vraie rencontre : Norma de Bellini, mon sas vers le Bel Canto, que je n’aimais guère. J’ai plus de mal avec les opéras classiques. Voluptés mélodiques.

Coûte que coûte, il ne faut viser que l’équilibre et moi je l’ai trop méprisé, le trouvant toujours trop plat et ennuyeux. J’ai mis à mal mon équilibre psychique avec des adjuvants, enfin tout sortes de choses. C’est malin, littéralement.

J’ai raté ma vocation, la chimie, les molécules me fascinent, j’aurais du devenir chimiste et me travestir en savant fou.

Combien de fois ai-je pensé que la Musique avait changé ma vie ? Il y a eu ma rencontre avec Bach et puis Arvo Pärt et la musique vocale, un renversement. Arvo Pärt, c’est une grammaire du silence et de la contemplation. C’est une musique saine (Y a-t-il une musique malsaine ?) mais fortement tragique. Il donne le minimum pour nous enivrer et cela fonctionne parfaitement. C’est le diapason de l’apocalypse. C’est hypnotique. Ecoutez le « cantus in memoriam Benjamin Britten »

La musique a une existence propre, elle n’a pas besoin de nous pour exister.

C’est une logique affective.

C’est un territoire indépendant & libre. Elle n’a pas de limites.

Eternelle & sans frontières.

Lassitude d’être soi. De n’être qu’avec soi. En perpétuel face au miroir.

Les artistes n’ont qu’un seul public, un seul véritable auditoire, c’est eux-mêmes. Narcissisme profond donnant lieu à la création. Exhibitionnisme.

Il faut asseoir son équilibre sur des sécurités viables et fidèles. Sur des amitiés solides, sur des relations de confiance.

La lune de miel est terminée. Vient la lucidité, le lait noir aigre et indigeste qu’on avale de travers. La seule solution contre l’apathie c’est de guetter ardemment le ravissement esthétique, lire, musique, beaux-arts, s’enivrer jusqu’à la lie, c’est urgent, c’est total. Traquer l’émotion sans relâche, c’est un « full time job ».

Laura Carnero. Bideford 1990. Dernier contact en juillet 1995.

Et voila que je retrouve ses coordonnées grâce à internet. Vertiges. Elle est devenue procureur « procurador » toujours à La Coruna. Apparemment elle habite toujours le même appartement. Pourtant elle doit avoir 32 ans maintenant. Habiterait-elle chez ses parents ? Etrange.

Je lui ai envoyé un email il y a deux jours. Silence.

Si je n’ai pas de réponse demain j’appelle sur son cellulaire directement. Ça va être un sacré choc si je l’ai au bout du fil.10 ans d’absence, le trou noir.

J’ai eu une pensée éclair.

Tout ce désespoir provient du fait que je veux toujours aller plus loin, plus haut. Insatisfait caractériel. En vérité, je ne veux pas être bien. Je veux être mieux. Constamment soulagé. Le soulagement, tout est là, c’est sans doute le seul « plaisir » qui vaille.

Impression de disparaître, d’être transparent, il n’y avait que toi qui existait, je m’accroche à ton nom, à ton idéal mais je ne suis pas si sûr, enfin je veux dire moi aussi j’ai peur de mon passé, de ce que devient le passé, transformé en présent. Où va notre passé perdu ? « Question of lust »

« Without you, i’m nothing » , Placebo.

Et ce besoin d’être dépendant, addict. Fuck.

Je suis glacé d’effroi à l’idée d’appeler Laura. Si elle n’est pas disponible, etc…cela se passera lapidairement, sans émotion. J’aimerai qu’ elle réponde au mail. Vite.

J’ai la conscience cariée. Le moral carié. Trop de plomb dans la tête, les dents serrés. Je suis satellisé sur Saturne.

Je n’accroche plus, ça n’accroche plus, c’est trop étroit, c’est suranné.

Ne me demandez pas d’être un autre, je ne sais plus le faire. Trop donné.

Je vais me péter les dents tellement ma mâchoire est serrée.

Donnez-moi des faux billets, ça n’a aucune importance. Mais jamais de faux sentiments. Ça jamais.

J’aimerais recevoir de belles lettres, pleines d’affect et de voyages, loin loin d’ici.

Il ne faut pas que je décroche de la vie, non il faut rester sur terre tant que ça dure.

Tiens-toi debout, marche en silence et ne t’attend à rien, surtout.

J’ai parié sur l’imaginaire comme on parie au poker.

La vraie lumière, c’est le Noir. « La nuit aussi est un soleil » disait Nietzsche.

Je hante le soleil noir de Nerval.

Je n’ose pas appeler Laura, j’ai peur, c’est vrai, quinze ans de fantasmes qui peuvent s’effondrer en une poignée de secondes. L’effroi. Je ne pense pas qu’elle a lu mon mail.

Je n’arrive plus à rêvasser, à rêver diurne, à songer, je suis à sec. Combien de temps encore avec cette sécheresse.

Je veux une belle fête pour la sortie de mon livre, avec beaucoup d’alcool et d’amphétamines, des belles filles, de l’ivresse, du glamour et de l’amitié.

Rien que ça. Et seulement ça.

Une soirée à la Scarface.

Une soirée totalement POP.

Soir. Puissant désespoir. Puissant Spleen. L’idéal est bien loin.

L’humeur humaine aura toujours ses mystères et la pilule du bonheur n’existe pas. L’humeur n’est pas « isolable », on ne peut pas la quantifier, elle est fluctuante.

Il faut s’attacher à soi lorsqu’on est en forme et se dissocier quand on ne va pas bien.

Rien ne dure. Nous passons notre vie à oublier qui nous sommes qui nous fûmes

Le présent n’a jamais existé.

Je vais me faire mal. Ecouter Léo Ferré,

« le désespoir est une forme supérieure de la Critique ».

J’ai mal. Le temps est trop court. C’est trop serré, la porte est trop étroite.

Je tombe face à elle, la seule, la vierge

Je n’ai jamais rien possédé, tout allait trop vite, le temps fusait, lacrymal, ivre.

Toujours sans nouvelles de L. Existe t-elle

C’est dur la sobriété. C’est trop dur.

Je m’inonde d’un monde vaste et amical. Je…Je te cherche dans les anicroches

Quand je pense au Temps, l’angoisse me surprend, par derrière j’entends sa voix qui me murmure « tic tac », c’est affligeant.

La lucidité, l’ennemi public numéro un. Alcool, chimies en tout genre pour te chasser, salope.

Je mâche du noir, t’aimes la salade, toi ? Hein, la laitue ?

Ca y est j’ai avalé ta laitue. Cul sec.

J’ai enfin appelé sur le mobile de Laura, je l’ai eu, je flippais, ça s’est bien passé sauf qu’elle ne parle plus l’anglais donc j’ai du lui improviser en espagnol…

Il ne faut pas que je me laisse aller, dans tous les domaines, comme un radeau médusé.

Et tout a valsé dans un virage sémantique. Un malentendu.

Sortir sortir sortir Voir ce qu’il y a après accélérer, virer de bord aborder les passantes sans les saborder.

S’extirper !